Auteur : Reby Redfox | ||||||||||
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Statut : En cours | ||||||||||
Nombre de Chapitres : 2 | ||||||||||
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Partie I |
Hitomi donna un violent coup de pied dans la porte de la cuisine. Des feuilles jaunies et rougeâtres empilées sur la droite furent dérangées par le souffle provoqué, et certaines vinrent s’éparpiller sur les dalles de la cuisine. Une paire d’yeux entourée par des cernes et des sourcils froncés, observait les intruses entrer en vire-voltant sans y être invitées. Hitomi pénétra à son tour dans la pièce en tirant derrière elle un grand et probablement lourd sac de toile de jute ; une pomme encore un peu verte s’en échappa d’un trou à l’arrière. Hitomi saisit alors le sac dans ses bras et sans prêter attention aux pommes qui ne cessaient de tomber, le hissa sur un bout de table à proximité. - Oncle Pom ! Regarde ce que je rapporte ! Joyeuse et vive, Hitomi s’accroupit pour ramasser les pommes tombées, se redressant et se baissant sans arrêt et en riant. - Oncle Pom ! Regarde, il y en a plein ! Plein, plein, plein ! L’homme croisa les bras en silence et continua de regarder la scène en fronçant de plus en plus les sourcils. À quatre pattes en face d’un placard, Hitomi essayait de récupérer quelques petites pommes qui s’étaient sauvagement enfuies sous le meuble. Elle finit par se saisir d’un balai et s’aida du manche pour les faire rouler à elle. À présent aussi poussiéreuse que les pommes et le manche à balai (qui finit par rester à terre), Hitomi se releva rapidement et se tourna vers le cuisinier, ses objets de quête dans les mains. - On pourra faire des compotes ! Et du jus ! Et… Oncle Pom abattit son poing sur la table, ce qui fit trembler ce qui était dessus. Déposé à l’extrémité, le sac laissa échapper une dernière pomme et Hitomi la ramassa rapidement. Les sourcils plus froncés que jamais et sans un mot, Oncle Pom pointa brutalement du doigt une porte sur sa droite. Hitomi comprit tout de suite le message et ayant reposé les pommes dans le sac, s’y dirigea en traînant les pieds. - Même pas des pommes au four ? Un coup de pied à faire trembler les murs la fit déguerpir en vitesse.
Hitomi s’affala de tout son long sur l’une des banquettes du réfectoire puis laissa échapper un bruyant soupir. Le jeune homme assis de l’autre côté de la table leva la tête de son livre, étonné par ce bruit. En découvrant sa nouvelle compagne, il posa le livre et se pencha vers elle afin de mieux voir le corps allongé. - Que nous vaut cette fois ce lourd soupir ? demanda-t-il en s’accoudant à la table. - Oncle Pom m’a encore virée de la cuisine ! Je lui apportais des tonnes de délicieuses pommes pourtant ! De quoi faire des dizaines de compotes, de tartes et de jus ! Hitomi tourna vivement la tête vers le jeune homme et le fusilla de ses yeux verts. - Jonas, enlève ce sourire moqueur de ton visage ! En cette saison, les tartes aux pommes sont plus que vitales ! Tss… Légèrement exaspérée, Hitomi croisa les bras et finit par se retourner d’un air boudeur, lui présentant son dos. Jonas ne put s’empêcher de sourire de plus belle. - Une bouderie, à ton âge ? Mais que dirait Aggripine si elle te voyait ainsi ? - Elle serait PAR-FAI-TE-MENT en accord avec moi, parce qu’elle aussi, elle adore les tartes aux pommes ! s’éleva la voix d’Hitomi de son dos. La jeune fille se redressa soudainement, posa ses deux coudes sur la table, la tête dans ses mains et fixa son interlocuteur avec intensité et sérieux. - Et toi, Jonas, aimes-tu les tartes aux pommes ? Le sérieux enfantin d’Hitomi allait avoir raison du jeune homme lorsqu’une ombre vint englober les deux mages qui se turent en levant les yeux vers le nouvel arrivant. Ce dernier les considéra un instant avec un visage fermé puis s’assit entre eux deux, posant dans la foulée un verre contenant une boisson rouge sanguin. - Content de te revoir en bonne santé et intégralement indemne, Mercure. La nuit a-t-elle été bonne ? s’enquit Jonas en laissant glisser un rapide coup d’œil sur le contenu du verre. Hitomi observait les cheveux couleur cendre de l’homme-loup. Certaines mèches flottaient doucement autour de ses oreilles. Mercure lui lança rapidement un regard, bleuté et dur, qui la dissuada de continuer. - Très, répondit-il après une gorgée. Il sortit une feuille pliée en quatre de la poche de sa veste et la jeta doucement sur la table. - J’allais sortir quand Gaël m’a sauté dessus en me refourguant ça, dit-il en désignant le papier, et en affirmant que ce serait notre prochaine mission. Encore une de ses visions apparemment. À vous l’honneur de savoir de quoi il en retourne, patron, ajouta Mercure en se balançant sur sa chaise, finissant son verre.
Jonas déplia le papier et l’étala à plat sur la table. Il s’agissait d’un plan de village, apparemment pas très grand et construit à proximité de ruines, à côté d’un semblant de forêt. Les traits étaient appuyés à certains endroits et le tracé devenait plus précis vers le centre du village. Ce dernier était une grande place rectangulaire sur laquelle Gaël avait dessiné quelques étalages marchands d’un côté, tandis que l’autre était occupé par une foule grouillante et rassemblée devant ce qui ressemblait à un bûcher. Au bout de la place, juste derrière le bûcher, avait élu domicile une église coiffée d’un petit clocher qui abritait une horloge. Quelques notes étaient gribouillées en haut à gauche et Jonas y lut des coordonnées entre deux ratures. Après quelques minutes, Hitomi tourna le plan jusqu’alors à l’envers pour elle, l’observant à son tour. - Gaël a aussi évoqué Achille, ajouta Mercure tandis qu’il contemplait son verre vide. Ce type est probablement là-bas. Jonas hocha la tête d’un air songeur. - C’est une possibilité, admit-il. Depuis le temps que nous recherchons cet homme, il serait bon d’enfin le trouver. Le jeune homme replia la carte, mit son livre sous le bras puis se leva en réajustant les lunettes sur son nez. - Je vais en discuter avec Tadaomi. Vous deux, essayez de déterminer où se situe ce village. Et pensez à prévenir Adélaïde qu’on a une nouvelle piste. - Adélaïde est encore en voyage avec Kim et Cassandre, l’informa Hitomi en s’adossant contre le dossier de la banquette. Elle ne risque pas de rentrer avant six jours. Jonas hocha la tête puis se mit en quête du maître, laissant ses deux compagnons seuls à la table. Alors qu’un silence s’installait, Hitomi tourna la tête vers l’homme-loup et le fixa en ouvrant grand ses yeux ; celui-ci n’y prêta aucune attention, concentré sur les quelques gouttelettes cramoisies qui traînaient dans son verre. - Alors Mercure, ton super flair peut-il nous indiquer où se trouve ce village ? - Non. Le jeune homme au regard bleuté se leva en même temps que la réponse et partit vers le comptoir, son verre vide à la main. Laissant sa tête tomber lourdement sur la table et en soupirant bruyamment, Hitomi le regarda s’éloigner, d’un air dépité. - Ahhhh. À quoi je m’attendais aussi. Maudit chien va. La jeune fille saisit la carte restée sur la table et c’est péniblement qu’elle s’en alla vers la bibliothèque de la guilde.
Hortense saisit un grand atlas sur l’une des étagères et, du haut de son escabeau, le tendit à Hitomi. - Essaie dans celui-ci aussi. Il est un peu plus vieillot mais je crois me souvenir qu’il est plus précis dans les gravures. Ah, et ce livre-là concerne les églises, peut-être qu’il peut t’aider aussi. Attention, c’est lourd ! Hitomi attrapa les deux ouvrages puis se pencha de nouveau sur les nombreuses cartes étalées en vrac sur la table de travail, éclairée par un vieux lustre qui pendait au-dessus de sa tête. Hortense vint la rejoindre avec une carte supplémentaire qu’elle posa dans un coin. La jeune fille aux cheveux bleu foncé s’était proposée d’aider Hitomi dans ses recherches, sachant pertinemment que cette dernière n’appréciait pas vraiment de traîner entre quatre murs, qui plus étaient poussiéreux et souvent en désordre. Cela faisant bientôt trois heures que les deux jeunes filles cherchaient, et l’agacement gagnait Hitomi. - D’après les coordonnées inscrites par Gaël, trois villages sont susceptibles d’être celui que tu cherches, expliqua Hortense à son amie. Il y a Peuxè, Rhus et Lotos. - Dans ce livre, ils disent que Peuxè est paisible et sans nuisance, continua Hitomi en feuilletant un ancien guide touristique. Il y aurait d’ailleurs un projet de construction d’un centre de relaxation en cours. Je vois mal un bûcher au milieu de touristes qui recherchent le calme et la tranquillité… - Et concernant les deux autres ? Hitomi tourna quelques pages. - Rien du tout, répondit-elle, ces villages ne sont pas mentionnés. Ahhh, si on pouvait avoir un plan clair, net, précis et surtout actuel ! On pourrait reconnaître la forme du village, du bûcher, de l’église, des ruines et tout le tralala ! Hortense reprit la carte dessinée par Gaël et la posa au milieu de la table jonchée, juste sous la lumière. Mis à part au centre du village, les traits étaient brouillons voire à peine tracés, le tout n’étant qu’un amas de lignes droites donnant vaguement forme à des bâtiments. Au bout d’un moment, Hortense tapota la carte du bout de son doigt. - Regarde ici, Hitomi. L’intéressée se pencha à son tour sur le dessin et aperçut parmi les ruines la petite forme circulaire qu’indiquait l’index. La jeune fille jeta un regard interrogateur à son amie. - Oui, un cercle. Et ? Hortense laissa échapper un sourire en soupirant légèrement. - Qu’est-ce qui peut être rond et qui subsiste dans un village en ruines ? Hitomi resta un moment silencieuse, les yeux tournés vers le dessin mais le regard dans le vide. Elle poussa soudain un cri et se mit à fouiller dans le bazar de cartes et de livres. Elle finit par étaler une ancienne carte sur laquelle elle posa un petit livre avec fracas. Hortense l’observa en souriant, amusée. - Un puits ! s’écria Hitomi en feuilletant à la hâte le livre. Elle consulta rapidement le sommaire puis poussa un nouveau cri. - Voilà, c’est ici ! « Le village de Sphendamnos, autrefois réputé pour son importante production de sirops et de plantes raves, a totalement disparu suite à un incendie, il y a quelques années : le site est aujourd’hui laissé à l’abandon et d’autres villages se sont développés aux alentours ; le plus proche est celui de Rhus. ». C’est Rhus ! Car pour des navets, il faut de l’eau ! Donc un puits ! C’est un puits ! Un puits ! Hitomi leva les bras en l’air en signe de victoire, un sourire radieux aux lèvres, puis elle désempara Hortense en sautant à son cou. - On a trouvé, Hortense, on a trouvé ! Merci ! La jeune fille aux cheveux bleus ria avec son amie puis la repoussa doucement. - J’en suis bien heureuse, lui assura-t-elle, mais je serai encore plus heureuse lorsque tu aur-… Hé ! Emportant avec elle le livre, le dessin de Gaël et la carte de Rhus, Hitomi avait pratiquement bondit jusqu’à la porte de la bibliothèque, manquant de peu de déraper sur l’une des marches qui menaient à la sortie. Elle se retourna rapidement vers son amie et lui fit un signe de sa main libre. - Merci pour ton aide, Hortense ! Je file en informer Jonas et Mercure ! La jeune fille disparut en un rien de temps du champ de vision d’Hortense sans que celle-ci ait pu dire quoi que ce soit, la laissant dans la pagaille de cartes et d’ouvrages. - Hitomi… HITOMI !
Les yeux clos, Mercure était allongé sur l’une des banquettes lorsqu’il entendit un cri hurlant le nom de sa coéquipière. Cette mélodie devenue si courante dans les couloirs de la guide n’annonçait selon lui qu’une tornade de bruits, de paroles et de gestes. Il entendit aussitôt après une course presque frénétique qui s’approchait rapidement de sa position. Les pas jusqu’alors rapprochés et rapides ralentirent et finirent par se perdre dans un grand bruit sec, juste à côté de son oreille. Mercure allait ignorer l’intarissable voix qui tentait une communication avec lui quand il sentit qu’on lui posait quelque chose sur le visage. Il sursauta et bondit aussitôt, attrapant puis jetant au loin l’objet qui l’avait surpris. Une voix s’éleva quelque part dans la pièce, le sermonnant comme quoi on ne devait pas balancer les livres. Mercure grommela puis se tourna brusquement vers la nouvelle arrivante. - Je t’ai déjà dit de ne pas toucher mon nez, ni mettre quoi que ce soit dessus, grogna-t-il. - Si tu m’avais écoutée lorsque je te parlais, je ne l’aurais pas fait ! rétorqua Hitomi en ramassant le livre de la bibliothèque. La jeune fille resta pensive une demi-seconde. - Pourquoi tu n’aimes pas qu’on touche à ton petit nez d’ailleurs ? Mercure la fixa en plissant ses yeux bleus et lui fit comprendre qu’elle ne devait pas poser ce genre de questions. Hitomi leva les yeux au ciel en haussant les épaules. - Un jour je parviendrai à t’apprivoiser, le chien. Mais pour le moment, renchérit-t-elle en voyant Mercure grogner et montrer les crocs, j’ai trouvé le village que Gaël avait dessiné ! Il s’agit de Rhus, près de Sphendamnos ! - Temps du voyage ? - Eh oh, on m’a juste demandé de trouver le village, pas de calculer le temps qu’il fallait pour y aller ! Et puis je ne sais jamais évaluer les distances. L’expression que prit Mercure à cette réponse négative fut un curieux mélange d’une grimace et d’une moue, si bien qu’il saisit la carte de Rhus que lui tendait Hitomi et l’observa attentivement. Si la jeune fille n’était pas calée dans les calculs de distance, la partie animale de Mercure lui permettait d’évaluer approximativement – et souvent véritablement – le temps qu’il faudrait mettre entre deux points. Mercure laissa glisser la carte au sol puis s’adossa au mur en croisant les bras derrière sa tête. - À vue de nez, on mettra pas plus de deux journées et demie à pieds. Si tu pars avec tes chaussures de courses, tu y serais entre quarante et quarante-cinq heures selon ton énergie magie. Si je voyage la nuit, j’y suis en moins de trente heures. Hitomi ramassa la carte, l’observa un instant puis la replia avant de tourner les talons. - Merci pour ces précisions, cher Mercure. J’aperçois Jonas là-bas, je file ! Tandis que la jeune fille s’éloignait en courant, l’homme-loup resta un moment silencieux, le visage fermé et le regard dans le vague. Puis il ferma les yeux et inspira profondément. - Le silence, enfin… |
Partie II |
L’homme-loup grogna d’énervement. Sa mâchoire tremblait de devoir rester fermée. Ses canines commençaient à le démanger, de même que ses griffes ne demandaient qu’à s’abattre, qu’à s’enfoncer dans la chair. Tous ses muscles, son corps entier bouillonnait d’un agacement qui excitait son instinct animal. Les poils sur sa peau se hérissaient petit à petit. Il sentait monter en lui une inexorable envie de bondir, d’attraper, de réduire au silence l’ennemi. Mercure tentait de calmer ses ardeurs bestiales et de se contenir. Un seul relâchement de sa part, une seule inattention et il fondrait aussi rapidement qu’il lui en était possible. Il se forçait à garder les yeux fermés pour ne pas succomber mais ses sens, amplifiés par sa condition d’homme-loup, affinaient davantage sa perception de l’ennemi ; sans la vue, l’ouïe et l’odorat n’en étaient que plus renforcés. Mercure sentit l’ennemi approcher à pas lourds et rapides dans sa direction. Ses oreilles frémirent et l’homme-loup fut parcouru d’un frisson intense, bestial et suave. Il serra les poings, tremblants. Il sentit soudain une froideur brutale, venue se poser entre ses deux yeux et qui se mit à glisser le long de l’arête nasale. À peine eut-elle commencé à glisser que Mercure ouvrit subitement les yeux dans un rapide coup de tête qui balança l’objet froid. Sans prendre le temps de réfléchir et abandonnant toute résistance, l’homme-loup empoigna la main coupable et l’envoya contre le sol avec force : le corps rattaché au membre suivit le mouvement et Mercure bondit sur lui en l’immobilisant, la gueule ouverte, les pupilles plus bleues qu’elles ne l’avaient jamais été. Il ne s’était passé qu’à peine deux secondes entre la pose de l’objet froid et la situation actuelle. L’homme-loup haletait. Ses pulsions avaient finalement pris le dessus un court instant. Il sentait son cœur tambouriner en lui, prisonnier d’une cage thoracique que l’organe ne cherchait qu’à briser. L’adrénaline défilait dans ses veines qui la propulsaient à l’ensemble de ses muscles. Mercure déglutit péniblement. Le souffle saccadé, il entreprit de calmer son corps. La tête lui tournait légèrement dû à l’ivresse de ses dernières pensées. Son esprit s’éclaircissait petit à petit quand il prit conscience du silence qui l’entourait. La tête orientée machinalement vers la droite, il croisa le regard de Jonas. Encore un peu hébété, Mercure ne parvint pas à mettre des mots sur le sentiment que renvoyaient les pupilles du jeune homme qui le fixait. Il lui semblait voir un être figé, pâle, une statue qu’on aurait vêtue. Les yeux fermés, l’homme-loup secoua vivement la tête puis la laissa retomber devant, dodelinant un instant. La claque qu’il sentit marquer sa joue le ramena définitivement à la réalité. Les yeux désormais écarquillés et la bouche légèrement entrouverte, il découvrit le corps, pas très grand, sur lequel il s’était jeté quelques minutes plus tôt et qu’il chevauchait encore. La main d’Hitomi qui l’avait frappé était encore en suspens tandis que les yeux verts de la jeune fille le fixaient dans un mélange de peur et d’incompréhension. Mercure sentait son corps trembler. En un bond rapide mais maladroit, l’homme-loup s’écarta rapidement et recula jusqu’à se laisser tomber dos à un arbre. À quelques mètres de lui fondait un glaçon sur le sol.
Le groupe de mages avançait en silence à travers la forêt. En cette saison le soleil déclinait tardivement comme s’il voulait aussi longtemps que possible noyer le pays de ses rayons. Hitomi regardait la carte de la région qu’elle tenait depuis quelques minutes, puis traça du doigt le chemin déjà parcouru. - On devrait bientôt apercevoir Rhus. Le village est normalement juste devant nous. - Si on pouvait y passer la nuit, remarqua Jonas, cela nous permettrait de repartir de bonne heure demain. Dormir dans un lit nous ferait le plus grand bien… à tous les trois. Jonas jeta un bref coup d’œil sur cette phrase en direction de Mercure, resté en retrait. L’incident survenu quelques heures plus tôt avait semé un silence glacial et pesant entre les membres du groupe. L’homme-loup semblait avoir totalement repris ses esprits. Sa tête baissée lorsqu’il marchait laissait parfois entrevoir deux filaments de couleur cyan émaner de ses pupilles. Hitomi se rapprochait nerveusement de Jonas à chaque fois qu’elle apercevait cette lueur bleutée. Elle revoyait inlassablement dans son esprit la scène, pouvant presque encore sentir le poids de Mercure qui la chevauchait ; elle qui ne pensait qu’à le taquiner avait finalement attisé l’instinct de défense de l’homme-loup.
Mercure tressaillit de nouveau. Son rythme cardiaque accéléra le martèlement dans sa poitrine. Il agrippa le vêtement qui le couvrait : ses griffes sortirent malgré lui et déchirèrent le tissu sous la poigne exercée. - Mercure ? L’homme-loup mit un genou à terre, tremblant. Il sentait une chaleur se diffuser en lui, une fièvre moite et désagréable qui lui brouillait la vue et l’esprit. Les battements furibonds qu’il sentait marteler sa poitrine se répandaient dans ses tympans. Haletant, Mercure ferma les yeux, faisant taire ses iris hurlant dangereusement éclatants. Sa tête tournait, il était pris de bouffées de chaleur et sentait ses sens s’affoler. De rage, il enfonça ses griffes dans le sol pour contenir son envie de les plonger dans la chair. Un cri guttural lui échappa lorsque ses membres commencèrent à se couvrir de poils blonds. Se transformer en loup lui provoquait habituellement une douce brûlure qui glissait sur sa peau ; là, c’était une fournaise irritante qui lui parcourait le corps. - Blaglahi ol elsio. Un instant s’écoula au bout duquel Mercure réalisa que le processus de métamorphose s’était arrêté. Transpirant et pantois, il rouvrit les yeux et les leva vers ses compagnons, leur offrant un regard bleu brûlant et étincelant qui laissait transparaître l’animalité qui l’envahissait. Se tenant à l’écart, Hitomi frissonna. - J’ai marqué ton apparence humaine pour qu’elle résiste à l’appel lupin, annonça Jonas. Est-ce que ça va ? L’homme-loup regarda son ami, presque hagard. Le battement qui lui bombardait les tympans ne cessait pas, tout comme la chaleur qui le faisait suer et tressaillir. Il fallait qu’il se calme, qu’il reprenne le contrôle de son corps et qu’il réduise au silence les pulsions carnassières qui cherchaient à prendre possession de son esprit. Lentement, il sortit l’une de ses mains du sol : elle ressemblait davantage à une patte de loup, toutes griffes dehors, qu’à une main humaine. Mercure la porta tremblotante à son visage qu’il baissa avant de se laisser tomber sur son flanc gauche, surprenant Jonas. - Mercure ?... - Allez-y sans moi. Je… ne me sens pas bien. En percevant le sol vibrer sous les pas de son ami qui avançait vers lui, l’homme-loup lui lança un regard sombre de son bleu céruléen. Il grogna. - N’approche pas ! Prends Hitomi et allez à Rhus. Je vous rejoindrai… plus tard. Jonas s’arrêta. L’état de son compagnon lui serrait le cœur de le voir affalé là, devant lui, sa transformation à moitié achevée retenue par une marque rouge sur son front humide et en prise à une sauvagerie qu’il était certain que son ami contenait à grande peine. Jonas laissa échapper un souffle. Une ombre élancée se dessina derrière le jeune homme à lunettes, et un corbeau noir en sortit, une fine cordelette en acier enroulée autour de sa patte. - Je te laisse un corbeau de la Jardinière, au cas où. Vu ton état, cela me rassure. Recroquevillé sur lui-même, Mercure tendit un bras tremblotant, le pouce velu en l’air en signe d’acquiescement. Jonas se retourna et fit signe à Hitomi de le rejoindre.
- Jonas… Qu’a-t-il ? Est-ce que c’est à cause du glaçon et de moi qu’il... Jonas s’arrêta et posa les mains sur les épaules de la jeune fille. Le regard embué d’Hitomi reflétait la confusion qui tourbillonnait dans son esprit. - Je suis certain que tu n’y es pour rien, Hitomi. Son état me préoccupe tout autant que toi, et je ne sais pas à quoi il est dû. Il soupira. Il se redressa et porta une main à sa nuque, penchant la tête en arrière en fermant les yeux. - La marque que je lui ai apposée a seulement stoppé sa métamorphose qu’il ne semblait pas pouvoir contrôler. J’espère sincèrement qu’elle a aussi pu calmer les maux dont il semblait être en proie. - Tu crois… que son attaque de ce matin a la même origine que ce qu’il lui arrive maintenant? - Eh bien… Le jeune homme n’eut pas le temps de formuler sa réponse qu’Hitomi bondit devant lui, lui faisant face. - Et si c’était cet Achille qui le faisait réagir ?! Ou cette forêt ? Ou quelque chose qu’il aurait mangé ou bu ? Mercure n’a jamais été agressif de la sorte et… Hitomi se tut un instant, le regard fuyant et affichant une mine qui tentait de dissimuler une certaine honte penaude. - … et même si je l’embête à longueur de journée, je suis convaincue qu’il ne m’aurait jamais attaquée s’il avait été dans son état normal. Jonas acquiesça. - Une fois qu’on aura récupéré Achille, on ramènera Mercure à la guilde aussi vite que possible. |
Partie III - à venir |
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