Auteur : Reby Redfox | ||||||||||
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Statut : En cours | ||||||||||
Nombre de Chapitres : 3 | ||||||||||
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Prologue[]
À présent lorsque je regarde derrière je ne distingue plus qu’une petite masse sombre d’où s’élèvent quelques fumées blanches. Si j’avais été plus proche, j’aurais encore senti le pain croustillant sorti du four et les herbes douces, fortes et aigres de dame Nuth ; j’aurais encore entendu les cris dans l’arène, les explosions et les cliquetis que fait l’atelier de Melkisedek. Mais de là où je suis, je ne peux voir que les fines volutes de fumées que produisent les cheminées et je ne peux qu’entendre le remous des vagues qui viennent se fracasser sur la falaise.
Et lorsque je regarde devant moi je surplombe la mer, cette vaste étendue d’eau sombre où se livrent sans cesse des batailles. Quand la mer est calme, que le ciel est dégagé, certains disent apercevoir les rives de Bosco à l’œil nu. Personnellement, j’en doute. De toute manière, il est rare que les Eaux Disputées soient calmes.
Je reprends la route qui, elle, ne va ni vers les habitations ni vers la mer.
Chapitre Premier[]
Je sors la carte de Minstrel et la déplie devant moi, l’étalant sur la table de l’auberge. Si j’en crois les rumeurs, je trouverai une partie des réponses à mes questions à Frestel, une importante ville portuaire qui a un accès sur les Eaux Disputées. Je la trouve aisément sur la carte (il faut dire que la zone ne comporte pas énormément de villes) et tente de déterminer la distance qui m’en sépare. Une journée et demie suffirait pour l’atteindre par la route.
- Il me faudrait les horaires du DimVem…
Mon verre désormais vide à la main, je me lève et me dirige vers le comptoir où l’aubergiste – une femme blonde, plutôt forte et bien trop maquillée – essuyait des coupelles. Quand elle me voit m’avancer vers elle, elle pose torchon et vaisselle sur un plateau et ses mains sur le comptoir, prête à me servir.
- Alors ma p’tite demoiselle, je vous ressers la même chose ?
Elle affichait un sourire qui me fit penser à celui du chat violet, le personnage d’un conte que m’avait raconté un jour ma mère.
- Oui, s’il vous plaît. Avez-vous les horaires du DimVem ?
Elle pose immédiatement un dépliant devant moi, juste à côté du verre qu’elle venait de remplir d’eau framboisée.
- Si vous ne prenez rien d’autre, cela vous fera 650 .
Je la paie puis retourne à la table en bois où je me suis installée. La carte s’était repliée de moitié et mes notes s’étaient aussi envolées ; probablement à cause des nombreux allers, venues et entrées dans l’auberge, le tout provoquant de sérieux courants d’air… Je me rassieds et tâche de remettre un peu d’ordre, laissant malgré moi échapper quelques gouttes de mon verre. Une petite tache brune apparut alors au sud de Minstrel, juste à côté de la ville de Motet : un peu plus et le nom devenait illisible.
Une mèche de cheveux me tombe devant les yeux au moment où j’ouvre le dépliant, mèche que je m’empresse de faire partir en soufflant dessus : mais en voyant qu’elle revient à la charge avec ses compagnes, force m’est de faire appel aux grands moyens. Déterminée à en finir, je retire de l’une de mes poches deux piques qui materont ces rebelles en un rien de temps ; rien n’est plus énervant que des cheveux qui n’en font qu’à leur tête. Quelques tours de mains et me voilà de nouveau libre de voir à ma guise. Alors que je m’apprête à de nouveau consulter le dépliant, je sens d’un coup un léger courant frais dans ma nuque suivi d’une violente claque sur mon épaule droite. Gardant la main plaquée sur mon épaule, son propriétaire ne se gêne pas pour s’asseoir juste à mes côtés sans me laisser le temps de parler ni même de le voir. Le coup m’avait légèrement projetée sur la carte et mes mains froissèrent quelques notes lorsque je voulus me retenir.
- Eh bien, ma chère, il vaudrait mieux que tu revoies tes réflexes ou tu ne feras pas long feu…
Rien qu’à entendre cet accent je laisse échapper un soupire. Je me redresse et fais enfin face à la jeune femme au visage d’une pâleur extrême encadré par une chevelure tout aussi blanche, qui me sourit également.
Chapitre Deuxième[]
Je me tourne légèrement vers elle en plaçant rapidement la main droite sur la poignée de mon épée.
- Mes réflexes sont très bons ! Regarde, j’étais prête à dégainer et à te couper l’une de tes si précieuses mèches…
La jeune femme éclate de rire.
- Je t’aurais tiré dessus en moins de temps que ça ! Un petit entraînement ne te ferait pas de mal.
Elle déplace quelques unes de mes notes, pose son chapeau noir – je l’ai toujours connu usé – et remet en place ses cheveux. Je ne me lasserai jamais d’admirer cette femme. Enora Haegrim a toujours eu un physique atypique mais irrésistiblement attirant, au point où beaucoup se demandent si elle ne l’aurait pas modifié grâce à la magie. Son teint est si pâle que ses yeux, d’une belle couleur ardoise, se font plus perçants ; que ses cheveux d’un blanc argenté s’y confondent. En un sens, elle serait presque effrayante. Délicieusement effrayante.
Toole nous rejoint, apportant deux grands verres remplis d’un liquide aux multiples teintes marrons. Il en dépose un devant Enora puis va s’asseoir en face de nous et pose à son tour son chapeau, tout aussi grand, tout aussi noir – et tout aussi usé. Si le teint pâle et les cheveux blancs donnaient une beauté surréaliste à sa sœur, ces éléments rendaient Toole plus sinistre. La première fois que je l’ai rencontré, il y a environ deux ans, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’un ennemi et l’ai attaqué ; je m’étais sérieusement trompée, d’autant plus qu’il m’a battue à plate couture…
Toole baisse son regard clair – l’une des principales différences avec Enora est que Toole possède des yeux d’un bleu très pâle – vers ma carte encore étalée sur toute la table avant de le diriger vers moi.
- C’est rare de te voir si loin de la guilde. Tu comptes partir loin ?
- Pour le moment, j’ai prévu de me rendre aux archives de Frestel, répondis-je en rassemblant mes note et en ne croisant ainsi pas son regard profond. La suite dépendra de ce que j’y trouverai.
Le frère et la sœur paraissent surpris.
- Frestel ? s’enquit Enora. Mais ce n’est pas dans cette ville que…
- Si. Il faut bien commencer par quelque part.
Je ferme un instant les yeux. Je revois leur visage si gai, si plein de vie. J’imagine que les regards d’Enora et de Toole sont compatissants mais tout aussi voilés d’une certaine tristesse.
- Si je veux savoir ce que mes parents ont fait pour mériter d’être décapités, il vaut mieux entamer mes recherches là où ils sont allés.
- Et tu comptais y aller en DimVem ?
Je rouvre les yeux et reprends en main le fameux dépliant pour répondre à la question de Toole. Cette fois, rien ne m’empêchera de le lire.
- Peut-être, j’allai justement regarder les horaires quand vous êtes arrivés.
- Tu ferais mieux d’y renoncer, intervient Enora. Le dirigeable n’est plus aussi fiable qu’il y a quelques années, et on nous a signalé ce matin quelques dysfonctionnements au niveau des moteurs. Si tu veux mon avis, tu irais plus vite à pied.
Se faisant, Enora s’approche de moi et fait pivoter mon visage face au sien avant de me faire un clin d’œil.
- Et comme nous devons nous-même nous rendre près de Frestel, on pourra faire un bout de chemin ensemble ! Ahhh, je suis si impatiente ! Ça fait tellement longtemps que je ne t’avais pas vue ni parlé !
Et sans que je ne sache comment, je me retrouve dans les bras d’Enora ; cette femme a vraiment des élans d’affection stupéfiants.
Je remarque que Toole nous observe avec un léger sourire narquois. Voir sa sœur prendre une autre personne que lui en victime ne doit pas lui déplaire. Alors que je m’apprête à la repousser doucement pour respirer de nouveau, la porte de l’auberge tombe dans un grand fracas qui fait taire les clients. Enora me lâche et tous trois tournons la tête vers la silhouette qui se dessine à présent dans l’embrasure de la porte.
Une paire de bottes blanches à lacets s’avance de quelques pas sur la porte tombée au sol en la faisant grincer tandis que les piques d’une étoile du matin démesurée viennent lourdement se planter dans le bois. Une longue jupe bleue ouverte sur le devant et où serpentent des épis dorés retombe le long des jambes de la nouvelle arrivée, de même que sa crinière blonde se range correctement dans son dos. Une voix puissante et autoritaire résonne dans l’auberge :
- Y a-t-il des membres de Dis Tractus ici ?
Chapitre Troisième[]
La grande blondinette s’avance vers notre table en faisant craquer le sol de l’auberge à chaque pas. Elle avait laissé son arme plantée dans le bois de la porte renversée. Sa jupe traînait un peu au sol et soulevait un peu de poussière tandis que ses épaulettes dorées sautillaient à chaque pas qu’elle faisait. La nouvelle venue s’arrête juste devant nous, met les mains sur ses hanches et gonfle sa poitrine.
- J’ai dit : y a-t-il des membres de Dis Tractus ici ? crie-t-elle assez forte pour que mes oreilles tremblotent.
Toole porte son verre à la bouche sans se soucier de la blondinette, comme si de rien n’était. Cette dernière le fusille du regard puis le dirige sur Enora : sans que je l’eus remarqué plus tôt, ma voisine était en train de nettoyer ses pistolets magiques en sifflotant tranquillement. Irritée et grinçant des dents, la grande et jeune femme me lance un regard glaçant. Elle pose brutalement ses deux mains à plats sur notre table.
- J’ai dit : Y A-T-IL DES MEMBRES DE DIS TRACTUS ICI ?
Enora lève alors les yeux vers la blondinette, une pièce de métal coincée entre ses dents.
- Pas la peine de gueuler comme ça, Maxie. On n’est pas sourds.
La dénommée Maxie laisse échapper un grognement en plissant ses yeux bleu azur. Elle se redresse dignement et sort un rouleau de sa poche, qu’elle déroule devant nous.
- Voici un avis de recherche concernant Haffo Caepio, membre Primus de la guilde Dis Tractus.
Maxie se tourne vers les autres occupants de l’auberge et hausse encore le ton.
- Il est accusé du meurtre de Criryl Beaeme, onzième géronte de la Gérousie minstrelienne et représentant du Royaume de Fiore. Sa tête est mise à prise pour cinq millions de Joyaux. Quiconque l’aurait vu ou obtiendrait des informations à son sujet a le devoir d’en faire part aux autorités.
Elle se tourne de nouveau vers nous avant d’ajouter :
- Dans le cas contraire, quiconque le couvrira sera immédiatement arrêté pour motif de complicité.
- Non mais quelle pimbêche celle-là ! Elle n’a pas du tout évolué en trois ans !
Enora marche devant moi et je la regarde pester contre la jeune femme blonde de tout à l’heure. Enora m’amuse vraiment, on dirait une enfant à qui on refuserait un jouet, et qui piquerait une scène de colère en levant ses petits poings dans tous les sens et en gonflant les joues. Elle fait soudainement volt-face, les mains sur les hanches et le visage sévère.
- Y A-T-IL DES MEMBRES DE DIS TRACTUS ICI ?, imite-t-elle en tentant de reproduire le regard de Maxie, ce qui a malheureusement pour seul but de la faire grimacer de façon comique.
Je ne peux qu’éclater de rire devant ses yeux qui se mettent à loucher et ses lèvres qui bougent n’importe comment. Elle finit elle aussi par rire, et Toole par sourire uniquement. Il reste distant par rapport à nous, mais je vois bien qu’il est amusé par les grimaces de sa sœur. Nous reprenons notre route. Enora me prend amicalement par le bras et je profite de ce rapprochement.
- Dis-moi Enora, qui était cette femme en fait ? Toole et toi sembliez la connaître.
- J’oubliais que tu es arrivée il y a seulement deux ans. Il s’agit de Maxie Cadigan, une membre Electo de Dis Tractus.
La surprise devait se lire sur mon visage, aussi Enora s’empresse de continuer.
- Comme tu le sais, il existe différents rangs dans notre guilde : il y a les simples membres comme toi – qui sont les plus nombreux – ; les Primus dont Toole et moi faisons partie et qui ont prouvé qu’ils étaient aptes à prendre plus de responsabilités ; et les Electo qui sont un cran au-dessus des Primus. On va laisser de côté les Cognitor et le Kurios qui sont l’équivalent des Représentants et du Maître. Les Electo sont une minorité à Dis Tractus, à ma connaissance il doit y en avoir six ou sept, pas plus. Comme beaucoup d’autres membres ils ne traînent pas beaucoup à la guilde et lorsqu’ils reviennent, ce n’est jamais que pour faire valider quelques missions. Cette absence s’explique notamment par la possibilité offerte aux Electo de se faire engager dans les corps militaires ou dans la Gérousie sans avoir à quitter la guilde, voire même devenir des représentants dans d’autres pays et royaumes. Ils sont bien sûr aussi libres d’errer comme bon leur semble, ou de se comporter comme n’importe quel autre membre. Mais du peu que j’en ai vu, le rang d’Electo monte facilement à la tête de ceux qui le détiennent : ils se croient plus importants et plus forts que les autres – en un sens c’est exact – mais il l’affiche un peu trop à mon goût.
Enora me lâche le bras et passe les mains derrière sa tête.
- Maxie s’est fait engager il y a trois ans dans la police privée de la Gérousie. Elle a toujours eu un petit côté autoritaire, et sa nouvelle fonction ne l’a pas aidée à devenir plus cordiale. Et comme tu l’as vu, elle prend presque plus à cœur sa place au sein de la police que celle de sa guilde.
Enora lève les yeux vers le ciel bleu, marquant un temps d’arrêt que je n’ose interrompre.
- Au point de lancer un avis de recherche contre un membre de sa propre guilde. Tu me diras sûrement que Dis Tractus n’est pas non plus une guilde modèle où tous les membres sont blancs comme neige, s’aiment et sont liés par un je-ne-sais quel pouvoir de l’amitié. J’ai moi-même commis des actes dignes d’une guilde de noire, et je ne les regrette pas.
Toole se rapproche sur la droite de sa sœur et la prend par la main en souriant. Enora lui rendit son sourire avant de le lâcher subitement pour recommencer à agiter ses petits poings et gonfler ses joues.
- Mais au point de balancer Haffo, ça non, elle peut toujours courir, cette pimbêche écervelée !